Alexander Putov

Enfance et premières influences (1940–1958)

Alexander Sacha Putov voit le jour le 9 mars 1940 à Kamensk, une petite ville près de Rostov, en Russie, alors sous le joug de l’Union soviétique. Né dans une période de reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, il grandit dans un climat de contrôle idéologique strict, où l’art est soumis aux diktats du réalisme socialiste. Sa famille, d’origine juive mais profondément attachée à la foi orthodoxe chrétienne, lui transmet un sens aigu de la spiritualité, qui marquera son œuvre future. Enfant, Putov montre un intérêt pour le dessin, mais les pressions sociales et économiques le poussent initialement vers des études médicales, un choix pragmatique dans le contexte soviétique. Cependant, son inclination pour la créativité ne tarde pas à s’affirmer, nourrie par les récits de l’avant-garde russe et les reproductions d’œuvres européennes qu’il découvre dans des livres rares.

Service militaire et éveil artistique (1958–1962)

À 18 ans, Putov est appelé pour son service militaire obligatoire, une expérience qui, loin de l’éloigner de l’art, devient un tournant décisif. Dans l’isolement des casernes, il commence à dessiner de manière compulsive, utilisant tout support à sa portée : papier, marges de lettres, voire emballages. Ces esquisses spontanées, souvent des portraits ou des paysages abstraits, révèlent un talent brut et une sensibilité unique. Libéré en 1962, il abandonne définitivement la médecine pour se consacrer à l’art, devenant un autodidacte dans un pays où l’éducation artistique est étroitement surveillée. Cette décision audacieuse le place en marge des cercles officiels, mais elle forge son identité d’artiste libre.

Moscou : Formation et premières expositions clandestines (1962–1973)

S’installant à Moscou, Putov s’inscrit à l’Institut d’Architecture, où il obtient son diplôme en 1969. Cette formation, bien que technique, enrichit son approche artistique : les lignes géométriques, les perspectives et les structures des bâtiments se retrouvent dans ses toiles déconstructivistes. À Moscou, il rencontre Marina Brenghaus, une peintre partageant ses idéaux, qu’il épouse en 1966. Leur union est marquée par une collaboration artistique, bien que leurs styles divergent. C’est également à cette époque qu’il croise Mikhaïl Schwarzmann, un maître de l’avant-garde russe, dont l’influence est déterminante. Schwarzmann l’initie aux œuvres interdites de Kandinsky, Chagall et Malevitch, renforçant son rejet du réalisme socialiste.

Dans les années 1960, Putov organise des expositions clandestines dans des appartements ou des ateliers secrets. Ses peintures, dessins et gravures, empreints d’une expressivité vibrante, attirent un petit cercle d’amateurs d’art non conformiste. Cependant, son style audacieux, ses origines juives et sa foi orthodoxe le rendent suspect aux yeux des autorités. Les tensions croissantes, exacerbées par la répression culturelle, le poussent à émigrer en 1973. Avec Marina et leur jeune fils David, né peu après leur arrivée, il s’installe à Haïfa, en Israël, espérant y trouver une liberté artistique totale.

Israël : Une explosion créative et des pertes tragiques (1973–1986)

En Israël, Putov devient citoyen israélien et entre dans une phase de production intense. Libéré des contraintes soviétiques, il explore une multitude de médiums : huile, acrylique, gouache, aquarelle, sculpture sur bois, compositions métalliques, fresques et gravures. Ses œuvres, caractérisées par des couleurs éclatantes et des formes dynamiques, mêlent l’iconographie russe (notamment des tableaux mère-enfant) à des influences occidentales. Van Gogh, pour son expressivité brute, Chagall, pour son mysticisme, et les impressionnistes français, pour leur lumière, deviennent ses références. Ses cityscapes abstraits, où les lignes architecturales se dissolvent en tourbillons colorés, reflètent son passé d’architecte.

Putov expose régulièrement en Israël, au Canada et en Allemagne, gagnant une reconnaissance modeste mais croissante. Malheureusement, une grande partie de son travail de cette période disparaît, probablement à cause du caractère éphémère de certaines expositions ou d’un manque de moyens pour conserver ses œuvres. Fresques murales, toiles monumentales et sculptures sont perdues, ne laissant que des photographies ou des souvenirs. En 1986, son mariage avec Marina s’effondre, marquant la fin d’une période personnelle et artistique. Cet événement coïncide avec une opportunité majeure : une invitation à exposer à Paris.

Paris et le mouvement Art Cloche (1986–1992)

En 1986, le Centre International d’Art Contemporain (CIAC) de Paris invite Putov à présenter ses œuvres. Fasciné par l’effervescence artistique de la ville, il décide de s’y établir. Rapidement, il s’intègre à la scène underground parisienne, rejoignant le mouvement Art Cloche, un collectif d’artistes marginaux installés dans des squats. Aux côtés de figures comme Yuri Titov, Alekcei Khvostenko, Valentin Samarine et Oleg Sokhanievitch, Putov trouve un espace d’expression libre. Art Cloche, souvent associé aux « artistes sans-abri », célèbre la création sans contraintes, loin des galeries institutionnelles.

Ses œuvres parisiennes adoptent une intensité brute. Peignant sur des supports improvisés – draps, tapis, toiles récupérées –, il fabrique ses propres cadres, ajoutant une dimension artisanale à son travail. Ses portraits de compagnons de squat, d’amis ou de passants capturent l’âme de la bohème parisienne, mêlant expressionnisme et touches classiques. Ses palettes, dominées par des ocres, des rouges acides et des bleus profonds, traduisent l’énergie de son environnement. Parallèlement, il illustre des poètes comme Velimir Khlebnikov, Osip Mandelstam et Dante, prouvant sa polyvalence.

En 1987, Putov rencontre Sylvie Gottraux, qui devient sa compagne et un soutien indéfectible. Ils s’installent à Gonesse, en banlieue parisienne, où naissent leurs enfants, Louise (1993) et Vassili (1997). Les rues et les habitants de Gonesse inspirent de nombreuses toiles, certaines acquises par la commune pour une exposition posthume en 2012. Cette période marque un équilibre entre création prolifique et vie familiale.

Bretagne : Une retraite créative (2000–2008)

En 2000, cherchant la tranquillité, Putov et Sylvie s’installent à Plélan-le-Grand, en Bretagne. Ce changement de cadre influence profondément son travail. Les paysages ruraux, les villages bretons et les scènes quotidiennes deviennent ses sujets de prédilection. Il crée un « journal pictural », documentant ses voyages à travers la France avec des huiles sur papier, des aquarelles et des techniques mixtes. Ses portraits expressionnistes, souvent de proches ou de figures anonymes, dégagent une chaleur introspective, tandis que ses natures mortes revisitent la tradition avec une modernité audacieuse.

Malgré son retrait géographique, Putov reste actif, exposant localement et vendant occasionnellement ses œuvres à des collectionneurs privés. Les critiques comparent son style à celui de ses influences – Van Gogh pour l’émotion brute, Kandinsky pour l’abstraction lyrique – tout en soulignant son unicité. Sa capacité à fusionner l’avant-garde russe, l’expressionnisme européen et une spiritualité personnelle fait de lui un artiste inclassable.

Héritage et reconnaissance posthume (2008–aujourd’hui)

Alexander Sacha Putov s’éteint en 2008 à Plélan-le-Grand, laissant derrière lui un corpus d’œuvres estimé à plusieurs milliers de pièces, bien que beaucoup soient perdues ou dispersées. Son décès passe relativement inaperçu, mais des efforts ultérieurs permettent de redécouvrir son travail. En 2012, la ville de Gonesse organise une exposition rétrospective, présentant des toiles acquises localement. Des galeries en ligne et des plateformes comme ArtFacts commencent à cataloguer ses œuvres, bien que son nom reste méconnu du grand public.

L’héritage de Putov réside dans sa liberté artistique et son refus des conventions. De Kamensk à Paris, en passant par Haïfa et la Bretagne, son parcours incarne une quête d’authenticité dans un monde souvent hostile à la différence. Ses toiles, où se mêlent spiritualité, émotion et expérimentation, continuent d’inspirer les amateurs d’art et les chercheurs d’histoires humaines.